Sujet sensible
C'est vraiment très difficile de parler de ce que je traverse en ce moment. Non seulement parce que j'ai du mal à trouver les mots pour m'exprimer, mais surtout parce que je n'arrive pas à trouver d'oreille attentive.
Je suis sûre que bien des jeunes mères sont dans mon cas, emmurées dans leur silence. C'est certainement la chose la plus difficile avec cette dépression : trouver l'écoute empathique dont on a besoin. Pourtant bien des amies aimeraient entendre ce que j'ai à dire ; c'est ce qu'elles pensent en tout cas.
Car qui a envie d'entendre qu'un mère ne supporte plus son enfant de quelques mois à tel point qu'elle veut fuir sa propre maison et tout laisser derrière elle ?
Quand j'ose à peine amorcer des bribes de ce que je ressens réellement, je suis presque immédiatement coupée par un "ce n'est que le début, ça ira mieux avec le temps", ou bien un "c'est l'ambiguïté naturelle de l'état de mère", quand je n'ai pas droit aux conseils de magazines féminins : prendre du temps pour moi, parler avec les copines, me défouler en faisant du sport...
Le coeur de mon problème, c'est que les gens n'imaginent même pas avec quelle violence je ressens les choses. C'est lourd et oppressant, parfois ça me fait mal à en crever. J'ai l'impression que je ne peux même pas m'enfoncer plus bas ou aller plus mal, j'ai déjà atteint ce qui est humainement supportable dans la douleur mentale.
Je dois l'avouer : je ne m'en sors pas du tout avec Crevette. Je ne sais pas comment le faire dormir, je ne sais pas comment le faire arrêter de pleurer, je ne sais pas comment l'occuper pendant la journée. Il me saoule, je ne supporte plus sa présence geignarde et braillante. Quand je le vois me sourire, je me dis que c'est une question de survie chez les bébés d'être mignons, parce qu'ils se savent tellement chiants qu'ils seraient abandonnés très facilement si ils n'étaient pas si touchants à regarder.
La liste de toutes les atrocités que je pense en ce moment est encore très très longue. Et voilà : comment aborder la chose avec une tierce personne ?
Quelqu'un qui a eu affaire à Crevette me répondra que pourtant mon bébé est parfaitement équilibré et serein, comme on aimerait en voir plus souvent. Me voilà face à un mur : mon bébé va bien, alors ce n'est pas grâve. Je n'ai plus le droit de parole et m'enfonce juste encore plus dans ma déprime.
Une mère n'a pas le droit d'aller mal et de ne pas s'en sortir. On se doit d'être parfaitement heureuses, même couvertes de vomi puant le lait caillé. On se doit de dire que la grossesse était pas un moment facile, mais que ça valait le coup. Et bien sûr on doit commencer à planifier le suivant. Franchement, c'est insupportable comme pression sociale, et surtout tellement loin de la réalité.
Etre mère, c'est dur. On ne dort presque plus, à tel point que notre mémoire s'effiloche. On n'a plus le temps de se faire un repas, du coup on grignote toute la journée ou on crève de faim, au choix. On ne peut plus se déplacer sans une poussette-bulldozer et un bébé-bombe à retardement. On est obligée d'accepter en souriant les remarques et conseils de n'importe quel quidam croisé au franprix. On doit faire attention à tout ce qu'on dit et fait parce que ça peut avoir un impact tellement grâve sur notre progéniture.
Personnellement, si c'était à refaire, je ne referai pas. Et si je tombais à nouveau enceinte, je crois que j'en mourais.
C'est moche à dire, mais c'est la réalité de la "dépression post-natale". Des milliers de femmes vivent avec et n'osent pas le dire de peur d'être mal jugées par leurs proches. Et alors qu'il est déjà très difficile de reconnaître qu'on a un si gros problème, ça l'est encore plus de trouver une aide.